Au contraire, l’écriture est pour moi le plus beau des exutoires. Il se trouve que je viens de passer une période où j’ai pris en rafale l’éviction assez injuste de la télé, une séparation – à l’amiable mais une séparation quand même –, un cancer du rein – qu’il a fallu que je soigne, mais dont je n’ai pas voulu parler tant que je n’étais pas guéri… –, le tout sans me plaindre, car, comme je le dis en exergue, il ne faut pas s’apitoyer sur les moments perdus. Les bonheurs perdus, faut juste se souvenir de les avoir vécus. Avec ce livre, je veux expliquer aux gens qu’on peut renaître. Aujourd’hui, je suis sur des scènes tous les soirs en train de sauter avec des milliers de personnes en face de moi, malgré la cicatrice qui me déchire le ventre. Je veux expliquer aux gens qui ont des deuils, des difficultés, des maladies, comment RENAÎTRE. Hier, on parlait de résilience, moi j’ai envie de parler de renaissance. C’est mon livre le plus personnel parce que je raconte des choses que je n’avais jamais racontées avant. Je n’ai rien à perdre, j’ai 68 ans et, toute ma vie, je me suis appliqué à être bienveillant. Je ne règle aucun compte, j’explique, voilà tout.
Vous dressez un état de lieux qui est plutôt pessimiste sur l’époque actuelle, est-ce que vous êtes déçu justement par le tour que prend notre société ?
Je suis un peu comme Delon… On est tous devenus des vieux cons ! (rires) On a eu la chance, nous, notre génération, de vivre d’incroyables années de liberté. Moi, j’ai deux mots clés dans mon langage : la liberté et le partage. Or, on vit dans une époque où la sphère de la liberté se réduit de jour en jour, un coup pour des raisons sanitaires, un coup pour des raisons politiques, un coup pour des raisons de morale. Quant au partage… Les riches gagnent de plus en plus, les pauvres de moins en moins. Il faut se bagarrer pour la liberté et le partage. Pour autant, je ne suis pas pessimiste. On va aller encore un peu plus dans le chaos avant de s’apercevoir qu’on fait fausse route. Les dirigeants de notre pays, pour la plupart, sont des gens déconnectés qui nourrissent un vrai mépris pour le peuple. Moi, j’en viens, du peuple, et je ne veux pas le renier. Quand je fais tourner mes serviettes ou que je chante mes chansons, je ressens physiquement ce mépris immense des gens d’en haut. Par contre, les gens d’en bas, ils adorent ! (rires)
Pourquoi avoir consacré un chapitre du livre à la notoriété et à ses méfaits ?
La notoriété m’a d’abord apporté du bonheur. C’est un rêve éveillé que je vis depuis des années. Je suis parti de chez moi avec rien en poche et je me retrouve là où je suis. Toutes les rencontres que j’ai faites, c’est un cadeau incroyable. En même temps, la notoriété est quelque chose de volatile, de fragile, de terriblement superficiel. On est devenus des selfies sur pattes. Avant de me dire bonjour, on me demande une photo. Comme je suis très attaché à l’affect et à l’humain, ça me manque de ne pas avoir des rapports plus profonds avec les gens. Ils prennent la photo, ils se tirent et tu n’as même pas parlé avec eux. Mais bon, c’est quand on ne peut pas faire contre qu’il faut faire avec… (rires).
Dans vos livres, il y a aussi ce dialogue imaginaire que vous instaurez avec votre Maman…
Depuis qu’elle est morte, j’ai cette conversation intime avec elle. Je suis certain que ceux qui s’en vont ne disparaissent pas complètement. Ce n’est pas une voix que j’entends, ce sont des idées qui m’arrivent, des impulsions dont je sais qu’elles ne viennent pas de moi. Quelqu’un me guide, me dirige, m’engueule parfois, me contredit. C’est une espèce de petit lutin, un avocat du diable, qui me parle sur tous les sujets que j’aborde : le cynisme, la nocivité de l’image, la futilité du monde, l’air ambiant de l’époque – si triste et anxiogène. Comme on ne peut pas changer ce monde-là, il faut s’en fabriquer un à soi. C’est ce que je fais depuis cinquante ans. C’est un bonheur infini d’être sur scène devant des gens de toutes générations à qui tu donnes du bonheur et qui te le rendent. D’ailleurs, je pense que chacun devrait s’appliquer à donner du bonheur autour de soi pour en recevoir. Les gens passent leur temps à se plaindre, mais si tu ne donnes pas, tu ne recevras jamais.
Vous avez un rapport à l’écriture très intense, vous aimez les mots, la poésie. D’où vient cet amour de la langue française ?
Adolescent, je voulais être prof de lettres. Les mots m’ont toujours fasciné. Les mots des romans, des chansons, des humoristes, mais aussi les mots des conversations. J’ai connu des pochetrons de fins de soirée qui étaient des philosophes extraordinaires. Le prof de philo qui m’a aidé à passer mon bac en candidat libre était un ivrogne doublé d’un joueur de poker qui donnait ses cours au fond d’un bistrot. C’est lui qui disait : « Mes enfants, faut pas vivre pour penser, faut penser à vivre. » Un rabelaisien. Moi, j’ai grandi entre San Antonio, Rabelais et Rostand. J’ai tout de suite ressenti la musique de Rostand. J’ai commencé à écrire des poèmes très tôt. J’adore la musique de l’alexandrin. Et contrairement à ce qu’on peut croire, écrire des chansons festives n’est pas facile. C’est même ce qu’il y a de plus difficile à écrire.
Épicurien, vous l’êtes aussi dans vos relations amoureuses…
Je suis un bon vivant. Et dans mes relations amoureuses, oui, je suis libre, libertaire, libertin, comme vous voulez. Être libertin, c’est profiter des plaisirs de la chair avec élégance et sans appartenance. Donner de l’amour à quelqu’un, c’est accepter qu’il soit heureux en dehors de toi. Il n’y a pas plus féministe. Mes relations avec les femmes, c’est m’assurer qu’elles puissent exister sans moi, c’est leur donner toutes les chances d’avoir leur indépendance, c’est faire tout le possible pour qu’elles soient heureuses en dehors de moi. C’est tout le contraire d’un macho. Cela dit, les dérives du nouveau féminisme m’agacent. Tous les mecs ne sont pas des salauds, toutes les femmes ne sont pas des anges…
Après une année si compliquée, vous semblez porté par une énergie nouvelle. On se trompe ?
Je ne prends rien d’artificiel. Je ne picole pas, je ne me drogue pas, je ne prends pas de tranquillisants, je ne prends pas de stimulants. Je continue à puiser mon énergie dans la générosité et la bienveillance. Après une séparation et une opération qui m’a laissé une cicatrice de 30 centimètres sur le ventre, je pourrais être au trente-sixième dessous. Au lieu de ça, je réagis, je donne encore plus aux autres. Je ne me plains de rien. Je ne veux pas de compassion, surtout pas. Je veux aller de plus en plus vers des gens qui vont moins bien que moi. C’est ce qui me renforce, me donne du bonheur. Dans ma vie, j’ai ramassé pas mal, comme on dit. J’ai perdu un enfant. Et puis, avec l’âge, vient la sagesse. Profiter du temps qui reste, ce n’est pas faire n’importe quoi. Ce n’est pas se soûler pour oublier. Au contraire, ce sont des moments suspendus, des couchers de soleil, des amitiés, des heures passées avec ma fille et ma petite-fille.
Vous voudriez qu’on retienne quoi de votre livre ?
Qu’on peut apprendre à renaître. À chaque écueil, chaque deuil, chaque maladie, apprendre à renaître en ne se plaignant jamais. En ne jetant pas la faute sur les autres ou sur Dieu. En persistant à vouloir être généreux et bienveillant. C’est comme ça qu’on guérit. C’est comme ça qu’on suture les plaies. Au fond, je crois que tout est écrit. Ce serait un peu long ici à expliquer, mais dans mes inspirations philosophiques, je suis entre Søren Kierkegaard, le théologien chrétien, et Jean-Jacques Rousseau. Autrement dit, il ne faut pas se mettre en colère contre l’inéluctable, il faut faire avec. Au-delà des confidences qui émaillent ce livre – mon exutoire à moi –, je pense que ces pages peuvent être un coup de main, si on sait les lire. Je me doute qu’on préférera me parler de mes coups de fil à Macron. Mais, dans le fond, je voudrais laisser ce message de vie et d’espoir.