Ces deux romans se répondent, se complètent, mais peuvent être lus indépendamment l’un de l’autre. Ils peuvent faire un peu penser aux contes philosophiques du XVIIIe siècle : des récits allégoriques qui questionnent le monde… Nous rêvions juste de liberté, qui est en cours d’adaptation pour le cinéma, interrogeait notre rapport à l’autre et le sentiment d’amitié, alors que Pour ne rien regretter évoque le rapport de notre civilisation tout entière à l’environnement. Ce sont deux romans, c’est vrai, plus personnels, dans lesquels je me livre peut-être davantage que dans mes polars.
Quelles sont les autres questions qui traversent votre roman ?
Avec ce récit, j’imagine un avenir possible et désirable, à l’heure où tous les indicateurs sont au rouge. Plutôt que d’écrire une énième dystopie sombre sur le futur qui nous attend, j’avais envie d’imaginer un avenir où la sortie de l’ère thermo-industrielle puisse être l’opportunité d’améliorer notre qualité de vie et d’agrandir nos libertés plutôt que de les restreindre. En somme, Pour ne rien regretter pourrait s’apparenter à une utopie concrète sur la question de la transition.
Parlez-nous de Véra, votre héroïne. Qui est-elle ? Que représente-t-elle dans votre esprit ?
Au début du roman, Véra, la narratrice, est une jeune femme un peu à part, qui souffre d’un léger trouble autistique. Ce décalage social et émotionnel lui permet d’observer le monde sous un angle différent, avec une certaine fraîcheur et une fausse naïveté, à la manière des personnages de Voltaire. Il y a aussi chez elle un peu du Momo de La Vie devant soi, d’Émile Ajar, l’un de mes livres de chevet : ses tics de langage, les bizarreries de sa syntaxe et son vocabulaire décalé… Mais Véra incarne surtout la jeunesse d’aujourd’hui. Elle est une sorte de Greta Thunberg romantique, en quête d’un avenir souhaitable. Elle va fédérer, un peu malgré elle, tous ceux qui rêvent de couper les liens avec les erreurs du passé pour embrasser une société nouvelle, plus juste, en paix avec son environnement, qu’elle appelle notre « Maison Commune ».
Beaucoup de celles et ceux qui ont lu Nous rêvions juste de liberté retrouveront des personnages très attachants, comme Freddy…
C’est le seul des personnages principaux du roman précédent qui réapparaisse ici. Si Véra incarne la jeunesse, l’espoir, Freddy incarne plutôt les regrets ; les miens sans doute. Il incarne le monde d’avant, celui qui, dans son insouciance et ses rêves de liberté, ne s’est pas préoccupé assez tôt des défis environnementaux que posait notre soif de croissance. Freddy, c’est un peu ma génération, qui a cramé du pétrole, roulé dans des grosses bagnoles et surconsommé à outrance alors que, dès 1972, le rapport Meadows nous mettait en garde contre l’épuisement des ressources. Mais plutôt que de refuser le changement par nostalgie du monde d’avant, il décide d’aider Véra et ses amis dans leur combat. C’était important pour moi de montrer que l’espoir pouvait renaître dans l’union de ces deux générations. La paix entre le monde d’hier et celui de demain. L’action, sans doute, vaut mieux que les regrets…
Il y a de la poésie et un humour très décalé dans votre roman, notamment à travers le langage particulier de Véra. À quoi répond cette petite musique des mots ?
Il y a sans doute là-dedans l’influence immense de Brassens, dont les textes ont bercé mon enfance et continuent de m’accompagner aujourd’hui. Il m’a appris qu’on pouvait dire des choses très sérieuses avec humour, et il m’a donné le goût de la musique des mots. Véra est une jolie fleur dans un vilain monde, et je voulais que son langage soit empreint de poésie et de douceur. Je tenais à ce qu’il y ait beaucoup d’humour et de tendresse dans ce texte qui aborde pourtant des sujets assez graves… Pour tout vous dire, il y a beaucoup de mes enfants, dans Véra, et comme j’aime éperdument mes enfants, je voulais rendre Véra éperdument aimable.
La ville de Providence semble de nulle part, comme une métaphore…
Oui, bien sûr: ce choix de lieu s’inscrit lui aussi dans le registre du conte philosophique. La ville de Providence, c’est notre société tout entière, c’est le théâtre du monde. Dans le livre, la corporation Goliath incarne à elle seule les méga-corporations de la tech qui vampirisent l’économie mondiale et colonisent nos esprits. Et ce n’est pas un hasard si la corporation que j’ai mise en scène porte ce nom, car le combat que nous devons mener rappelle celui de David contre Goliath. Dans la Bible, c’est David qui gagne… Peut-être devons-nous croire que c’est encore possible.
Peut-on dire que ce roman est un livre engagé, dénonçant de nombreuses dérives de nos sociétés ? Une dimension presque politique…
Il n’y a pas de dénonciation révolutionnaire dans ce roman : toutes les dérives sociétales et environnementales qui y sont décrites sont bien connues. Ce que j’essaye de montrer, c’est qu’il peut y avoir un après désirable. Ce n’est pas un livre qui veut alerter – d’autres gens comme Jean-Marc Jancovici ou Pablo Servigne font cela depuis longtemps – mais un livre qui veut faire espérer, donner envie d’autre chose, voire de passer à l’action. En ce sens, oui, sans doute a-t-il une dimension politique, à condition de croire qu’il reste encore un peu de place pour le rêve dans la politique.
Véra utilise un réseau en ligne dit « libre », elle se tient à l’écart des grands réseaux sociaux centralisés. Vous-même avez fait le choix de ne plus être sur ces réseaux. Pourquoi ?
Quand j’ai réalisé que la simple idée de vouloir fermer mes comptes Facebook et Twitter me terrifiait, j’ai compris que j’avais envers ces outils une dépendance malsaine. Encore une fois, à peu près tout le monde aujourd’hui est conscient que les algorithmes des réseaux sociaux n’ont d’autre fonction que de nous accoutumer à leur utilisation et d’hystériser les débats. Très peu de gens encore ont le courage de quitter ces outils, de peur de se « couper du monde ». J’ai moi-même longtemps défendu les réseaux sociaux et les services prétendument gratuits de Google, à l’époque où je croyais à leur capacité de créer du lien social, mais, à l’évidence, leur financement quasi exclusif par la publicité a perverti cette fonction. Il suffit d’essayer quelques semaines un réseau libre, décentralisé et sans publicité comme Mastodon pour constater que les rapports humains y sont beaucoup plus apaisés, tout en se mettant à l’abri d’un outil de manipulation et de désinformation de masse…
Qu’aimeriez-vous, en une phrase, que l’on dise de votre roman ?
Qu’il donne envie de donner la main aux enfants.
Retrouvera-t-on demain le Henri Lœvenbruck, orfèvre du polar historique, ou préparez-vous un nouveau pas de côté ?
Mes aspirations du moment me poussent en effet davantage du côté de la littérature générale que du polar, je le confesse, et je prépare depuis plusieurs mois un roman qui va raconter l’histoire incroyable du Manifeste des 343, au début des années 1970. Mais il n’est pas impossible que le polar me manque un jour ou l’autre et que j’y revienne dans un futur plus ou moins proche. Vous savez, tout ça, au fond, c’est anecdotique. Coller une étiquette sur un livre, c’est pratique pour les classer, mais ça n’en fait ni les qualités ni les défauts. Ce qui compte pour moi, c’est de trouver le contexte qui servira au mieux l’histoire que j’ai envie de raconter avec passion. Le reste…