Le titre du livre, Le Loup des Cordeliers, est à lui seul une énigme. Que vient faire un loup dans cette affaire et pourquoi les Cordeliers ?
C’est exactement la question que se pose le héros du roman! Y a-t-il vraiment, la nuit, un justicier qui se promène dans les rues de Paris en tenant un loup en laisse ? Et si oui, qui est ce vengeur masqué aussi impitoyable qu’insaisissable ? Et où se cache son terrible animal ?
Les Cordeliers était le nom de l’un des districts de la capitale, qui correspond à peu près à l’actuel quartier de l’Odéon et de Saint- André-des-Arts. Ce fut l’un des districts les plus actifs de la Révolution, mais c’était aussi celui des arts, des lettres, des philosophes… Certains des plus grands acteurs de la Révolution y vivaient, comme Danton et Desmoulins, ainsi que les plus grands artistes et écrivains de l’époque.
Parlez-nous du héros de votre livre, Gabriel Joly, ce jeune journaliste venu de province qui, dites-vous, incarne le journalisme d’enquête…
Le journalisme d’investigation, tel qu’on le connaît aujourd’hui, n’existait pas encore à la fin du XVIIIe siècle, mais il était sur le point de naître, à mesure que les journalistes se débarrassaient de la censure, de la soumission des rédactions à la royauté, à la bienpensance qu’elles s’étaient imposées depuis la naissance de la presse. Les journalistes n’ont jamais été aussi actifs que pendant la Révolution française. Des journaux naissaient et mouraient chaque jour, et l’on se plonge à présent avec plaisir dans ces milliers de parutions, de pamphlets, d’affiches… Mais Gabriel Joly, ce brillant étudiant en philosophie, obsédé par la vérité, poursuit un rêve particulier: il veut faire un journalisme d’un genre nouveau, qu’il appelle « journalisme d’enquête », et qui n’est autre que l’ancêtre du journalisme d’investigation. En ce sens, il devient un véritable enquêteur, un genre de Sherlock Holmes du XVIIIe siècle, mais avec bien plus de liberté que la police de son temps, qui doit rendre compte à Louis XVI… Cette liberté, mais aussi sa sagacité, son esprit d’analyse et son entêtement vont lui permettre de résoudre les plus grands mystères… comme celui de ce justicier masqué !
Tout au long du roman, les figures majeures de la Révolution en marche apparaissent. Certains sont même soupçonnés de jouer un rôle important dans l’histoire. Est-ce ici pure fantaisie de votre part ou une manière de faire revivre ces femmes et ces hommes d’exception ? De tous, d’ailleurs, laquelle ou lequel vous a le plus marqué ?
Les lecteurs retrouveront en effet des grandes figures qu’ils connaissent bien, comme Danton, Desmoulins, Robespierre, Louis XVI ou Marie-Antoinette… Mais j’ai également tenu à mettre en lumière d’autres personnalités moins célèbres, comme l’incroyable Théroigne de Méricourt, une femme au destin extraordinaire, ou l’écrivain Louis-Sébastien Mercier, que l’époque moderne a un peu oublié, mais qui fut pourtant l’un des plus grands auteurs du XVIIIe siècle, et peut-être même le premier auteur d’anticipation français ! C’est certainement pour ces deux-là que j’ai le plus de tendresse, et je me suis amusé à leur faire jouer un rôle décisif dans l’enquête de Gabriel Joly. La Révolution fut l’occasion pour de nombreux penseurs, artistes, journalistes et libraires de prendre une part active à l’histoire, de se dépasser par l’engagement et le combat. Elle est une galerie de portraits fascinante.
Sexe et pouvoir, cabinets secrets, trahisons, désinformation et même « fake news »… la vie politique en 1789 rappelle à bien des égards celle que nous vivons aujourd’hui…
À l’occasion des états généraux, Louis XVI décida temporairement de lever la censure et invita les Français à prendre librement la parole pour tenter de réformer le pays… Sans le savoir, il entraîna ainsi une soudaine profusion des prises de parole, qui rappelle étrange- ment ce que nos réseaux sociaux ont permis depuis quelques années ; confondant souvent liberté d’expression et liberté de la presse – qui sont pourtant deux choses bien différentes –, ces prises de parole donnèrent (et donnent encore) le pire et le meilleur. Au milieu de toutes ces voix se trouvent tant le discours généreux, brillant, plein d’espoir et constructif des uns, que les pires horreurs mensongères, les pires manipulations dignes de nos « fake news » actuelles… Mensonges, émeutes, manipulations dans un camp comme dans l’autre, violences policières, espions infiltrés… La Révolution a parfois des accents très actuels !
Vous nous faites également pénétrer dans les coulisses de la franc- maçonnerie et, en particulier, dans la loge des Neuf Sœurs. Est-ce à dire qu’elle a joué selon vous un rôle majeur pendant la Révolution ?
En réalité, le livre montre combien cette idée selon laquelle la Révolution aurait été le fruit d’un complot maçonnique est une aberration, née essentiellement d’auteurs complotistes du XIXe siècle. Si certains francs-maçons ont bien pris une part active à la libre-pensée et donc participé au désir de changement des Français du XVIIIe siècle, on comptait dans les loges autant de fidèles soutiens à la monarchie qu’on lui comptait d’ennemis. C’est surtout dans les nombreux clubs politiques qui apparurent à la veille de la Révolution que le désir de révolte accompagna la colère populaire. Comme toujours, les choses sont bien plus compliquées ! Et là encore, les « fake news» prolifèrent: on prête souvent à la maçonnerie des membres qui n’en étaient pas, comme Danton, Desmoulins ou Mirabeau, lesquels n’ont en réalité aucun lien avec elle! Lafayette ou Montmorency-Luxembourg, en revanche, appartenaient bien à cette société secrète, mais on ne peut pas dire qu’ils furent les révolutionnaires les plus enragés… Quant au cousin du roi, le duc d’Orléans, il passait bien plus de temps à comploter au Palais-Royal que dans les loges !
Une seule chose est sûre, il y avait dans les loges du XVIIIe siècle, et en particulier dans celle des Neuf Sœurs, qui initia Voltaire, des hommes exceptionnels, et s’ils ne complotèrent pas, ils participèrent très largement à la pensée des Lumières. Le roman est surtout une occasion pour le lecteur de découvrir la vie mouvementée des loges de ce temps, aussi divisées que l’était la nation, de découvrir leur temple de l’époque, leurs rituels, leur organisation…
Comment vous êtes-vous documenté pour dépeindre avec autant de précision le Paris révolutionnaire ?
En passant, d’abord, de nombreuses heures dans les bibliothèques, et en particulier la Bibliothèque historique de la ville de Paris. Je mention- nais tout à l’heure l’auteur Louis-Sébastien Mercier, qui nous a laissé une peinture savoureuse de la capitale en son temps : Le Tableau de Paris. Il fait partie des dizaines de livres que j’ai compulsés avec délectation sur le sujet. Comme je l’avais fait dans L’Apothicaire en décrivant le Paris du XIVe siècle, j’ai pris beaucoup de plaisir à me plonger dans les bruits, les couleurs, les odeurs, les merveilles et les horreurs du Paris révolutionnaire…
Ensuite, j’ai été aidé par plusieurs historiens spécialistes de la Révolution, qui ont eu la générosité de me faire partager leurs connaissances sur des sujets très précis, comme, par exemple, le fonctionnement de la police au XVIIIe siècle…
Cette première enquête de Gabriel Joly, pleine de rebondissements, jusqu’à la révélation de l’identité du Loup des Cordeliers, appelle-t-elle une suite ? D’autres enquêtes de ce journaliste séduisant et accrocheur ?
Oui ! La suite est d’ailleurs déjà bien avancée, elle va entraîner le lecteur jusqu’en Corse, et je ne compte pas m’arrêter là ! Grand amateur du roman-feuilleton du XIXe siècle, j’ai l’intention de faire vivre à notre bon Gabriel de nombreuses aventures successives. Chaque roman sera l’occasion d’une nouvelle enquête, avec la Révolution pour toile de fond. Cette première aventure commence en mai 1789 et se termine à la fin du mois de juillet… Autant dire qu’il nous reste encore de belles pages de l’histoire de France à revivre, et de beaux mystères à résoudre pour notre journaliste d’enquête ! Qui sait ? Ses aventures se poursuivront peut-être même jusqu’à l’Empire !