La montée des extrêmes, partout en Europe, m’interpelle depuis des années. Notamment, ces groupuscules identitaires qui se développent en France et ailleurs. Que cherchent ces jeunes ? Quelles sont les techniques mises en œuvre par leurs dirigeants pour recruter ? Quelles sont leurs connexions à l’international ? L’ultradroite est aujourd’hui, selon Europol, la deuxième plus grande menace terroriste en Europe. On parle, en France, de 2000 individus sous surveillance. Je voulais aborder cette thématique complexe à travers une histoire, des personnages. Et, au passage, inviter les lectrices et lecteurs à s’interroger à la fois sur le repli sur soi et sur les mécaniques d’endoctrinement et de violence collective.
Votre livre évoque dans le même temps la situation des réfugiés en provenance de Syrie…
J’ai l’impression que l’on vit dans une société où l’on préfère détourner les yeux que faire face à nos maux. Le sort des réfugiés m’a toujours préoccupé. D’autant qu’ils sont désignés comme la grande menace par les groupuscules d’ultradroite. J’ai voulu rappeler que derrière ces visages anonymes, il y a des femmes, des hommes, des vies, des drames… Je suis très attaché ainsi au personnage de Darya,
une femme forte, intelligente, qui a traversé huit pays avec son mari pour arriver jusqu’en France.
Au départ de La Meute, il y a deux affaires. Et deux enquêteurs qui vont rapidement travailler ensemble. Qui sont-ils ?
Sofia Giordano est une jeune policière de l’antiterrorisme. Avec son équipe, elle traque un tueur, l’Ange noir, qui assassine des notables, aux quatre coins de la France, en les enterrant vivants. Sofia est un personnage complexe. D’origine franco-marocaine, elle cache de nombreuses blessures. Gabriel, lui, est un flic de la PJ appelé sur une scène de crime : on a retrouvé en plein Paris le cadavre d’un réfugié syrien, affreusement tabassé. Malgré l’insistance de la veuve de la victime, Darya, personne ne semble s’intéresser à l’affaire. Comme Sofia, Gabriel est toujours un peu sur la corde raide. Son tempérament imprévisible l’a placé dans le collimateur de la police des polices. Ces deux flics sont, en réalité, deux êtres torturés, fragiles, qui se surinvestissent dans leur travail pour ne pas faireface à un passé qui les hante. Leurs enquêtes respectives vont les rapprocher et les conduire vers le même lieu…
Le mystérieux château de Noirval…
C’est la propriété de la famille Mirval depuis 150 ans. Un vaste domaine qui abrite un manoir, un labyrinthe, une crypte, une volière, une grotte artificielle… Les Mirval sont obsédés par les neuf cercles de la Divine Comédie de Dante. Tout leur domaine a été pensé par rapport à ça. Armand Mirval, comme ses ancêtres avant lui, a façonné le château et les dépendances comme autant de lieux abritant des indices et des clés sur l’ordre secret de la famille. Avec ce roman, j’ai eu envie d’aller sur le territoire du roman gothique et de jouer avec ses codes. En écrivant, j’ai beaucoup pensé à Rebecca de Daphné du Maurier ou Le Tour d’écrou d’Henry James. Le parc du château, dévoré par les mauvaises herbes et les ronces, est à l’image de cette famille. Au fil des pages, le lecteur aura l’impression que Noirval s’étrique, se referme sur ses habitants, les étouffe.
Les sociétés secrètes semblent beaucoup vous intéresser…
Je suis très intéressé par le rapport entre l’individu et le groupe. Peut-on exister par soi-même ? Pourquoi a-t-on tant besoin de croire ? Une citation définit bien La Meute: « Il y aura toujours des
diables, des dieux et des hommes au milieu. » En creusant sur le sujet de l’idéologie des identitaires et en discutant avec des experts comme Erwan Lecœur, un sociologue français, j’ai réalisé que les
fanatiques – qu’importe leurs « croyances » – partagent le même type d’idéologie et d’imaginaire. Ils veulent donner un sens à leur vie, ont l’impression de faire partie d’une caste à part, d’être des élus,
de poursuivre un but qui les dépasse, de participer à une croisade… Les épreuves initiatiques imposées par la Meute n’ont qu’un but : déshumaniser les membres du groupe, annihiler leur libre arbitre. En faire des automates, prêts à tout. Prêts au pire.
Au passage, on découvre le béhourd, ces terrifiants combats médiévaux auxquels vous vous êtes vous-même essayé. C’est important, pour vous, d’enquêter avant d’écrire ?
Je passe énormément de temps à me documenter. Surtout quand je m’attaque à un sujet aussi complexe. Pour ce livre, j’ai échangé avec de nombreux interlocuteurs: un sociologue, une psychologue, un policier de l’antiterrorisme, des représentants d’associations de réfugiés, un Syrien exilé… Dans le roman, l’un des personnages principaux, Louis, se prend de passion pour un sport de combat méconnu, le béhourd. À mi-chemin de la lutte, du MMA et du combat médiéval, on s’y affronte à coups de bouclier et d’épée en portant une armure de chevalier. En visitant le château de Pierrefonds, il y a quelques années, j’ai assisté à une compétition de béhourd. J’étais à la fois fasciné et terrifié par l’intensité des combats. Que cherchent ces jeunes? Que dit de notre époque la résurgence de ces spectacles d’une grande violence ? J’ai eu besoin de ressentir ce que ça faisait de se retrouver avec trente kilos d’armure sur les épaules. Sentir les chocs, les coups. J’ai contacté Antoine Bernal, champion du monde de duel épée-bouclier de béhourd et planifié avec lui une longue séance d’entraînement…
Comme dans Roches de sang, votre précédent thriller, ce roman aborde la question du poids de l’héritage, de la transmission. La difficulté de s’affranchir d’un milieu devenu toxique…
Dans la famille Mirval, il y a Victor, l’héritier. Un jeune homme convaincu qu’un grand destin l’attend. Toute sa vie, depuis son enfance, son père Armand l’a forgé à travers des épreuves terribles. Dans son sillage, on rencontre Louis, un jeune repris de justice complètement perdu, dont le seul langage est la violence. Louis va devenir le garde du corps des Mirval, l’entraîneur du jeune Victor, mais aussi une sorte de héraut, de chevalier dans l’ordre secret de la famille. À travers leurs histoires croisées, j’ai voulu parler d’endoctrinement, de sentiers de haine mais aussi de chemins de rédemption. La mère de Victor, Mathilde, tente aussi de se départir de cette famille et de cette malédiction.
Votre livre est sombre, inquiétant, mais vous l’avez aussi parsemé de petites lumières. Cela répond à quoi chez vous ?
C’est important pour moi, à travers les relations entre mes personnages, de distiller des instants de répit, des éclaircies dans un récit très sombre. Je ne suis pas totalement nihiliste, il y a toujours un peu d’espoir quelque part. Les histoires d’amitié – entre Gabriel, le policier, et Darya, la réfugiée, par exemple – sont autant de récifs auxquels s’accrocher dans un récit tourmenté. Je ne cherche pas à construire un roman moralisateur, je veux juste interroger les lecteurs, comme je m’interroge moi-même, sur les maux qui nous dévorent. J’avais envie qu’en refermant le livre, on finisse sur un message fort de tolérance.