Deux thèmes profonds animent cette nouvelle histoire. D’une part, la question de la transmission du savoir, non pas à la génération suivante, mais aux générations qui fouleront la Terre dans plusieurs centaines, voire milliers, d’années. J’aborde cette question vertigineuse à travers le phénomène des capsules temporelles, dont il existe officiellement 1 485 spécimens cachés sur Terre. Mais qu’est-ce qu’une capsule temporelle, allez-vous me demander ? Il s’agit d’un container qui peut aller de la taille d’une boîte à chaussures à celle d’une pièce de vingt mètres carrés et dans lequel on place des objets représentatifs du présent. On enfouit cette capsule dans le sol, avec pour consigne clairement affichée de ne l’ouvrir que dix, cinquante, cent ans plus tard. Et parfois plus. La capsule appelée « crypte de la civilisation » a été scellée en 1940 et ne pourra être ouverte qu’en l’an 8113. À quoi ressembleront la Terre et l’Humanité dans 6 000 ans ?
Tout aussi vertigineux, l’autre thème qui traverse votre intrigue concerne la recherche de civilisation intelligente extraterrestre…
Pour beaucoup d’astrophysiciens, la question n’est plus tellement de savoir si on trouvera un jour une vie intelligente dans l’Univers, mais plutôt quand. Pour ces scientifiques, le nombre de planètes potentiellement habitables ne cesse d’augmenter grâce à la finesse de détection des nouveaux outils technologiques. Si bien que le nombre de planètes pouvant abriter la vie pourrait être comparable au nombre de grains de sable de toutes les plages du monde. Pour ces scientifiques, penser que nous sommes seuls dans l’Univers est une absurdité statistique. Je trouve que cette approche ouvre des voies narratives grisantes que j’explore dans le roman.
Les deux héros de votre roman ne sont pas des enquêteurs professionnels. L’une est experte en art, l’autre est prêtre. Pouvez-vous nous les présenter ? Et comment ce duo surprenant s’est-il constitué ?
Felicia Duplessis est effectivement une jeune experte en art qui voue une passion à l’histoire des objets et des œuvres d’art. Elle s’est même fait peindre une reproduction d’une partie de la fresque de la chapelle Sixtine sur le plafond de son salon. Peinture dont elle a d’ailleurs une interprétation toute personnelle que je vous laisse découvrir. Felicia est une femme vive et curieuse qui entretient un rapport passionné avec son métier. Tant et si bien, que pour le moment, elle n’a pas encore rencontré le partenaire avec qui partager son grand savoir, comme elle le souhaiterait. C’est dans ce contexte qu’elle va se retrouver à faire équipe avec Armand Borderive. Un prêtre qui a la particularité d’avoir été inspecteur auparavant. Plus âgé que Felicia, il est aussi plus posé et moins bavard. Au départ, il a un comportement un peu machiste à l’égard de Felicia qui ne va pas se laisser faire. Puis Armand se rendra compte que la jeune femme a un sens de l’observation fort utile dans leur enquête. La question est de savoir quel type de relation va se nouer entre Felicia et Armand. Une idylle amoureuse qui irait à l’encontre des vœux du prêtre ou une autre forme de lien ? Pour tout vous dire, en commençant le livre, je ne savais pas comment évoluerait cette rencontre. Les personnages se sont chargés eux-mêmes de leur destinée.
Ces profils atypiques, loin du flic traditionnel, vous ont-ils obligé à penser votre histoire différemment ?
L’histoire se construit en effet différemment selon que les personnages principaux sont policiers ou non. Des personnes ordinaires n’ont pas accès à tous les moyens de la police, et il faut donc redoubler d’astuce pour parvenir à les faire progresser dans leur enquête. Le plus difficile est de réussir à conserver une intrigue crédible alors qu’il arrive des choses extraordinaires à des gens comme vous et moi.
Hier, Grace Campbell et Sarah Geringën, aujourd’hui, Felicia Duplessis… Les personnages féminins sont très importants dans votre univers. Pourquoi cette place particulière ?
Je n’aime pas créer des personnages principaux masculins. J’ai toujours l’impression qu’ils me ressemblent trop. J’ai beaucoup de mal à trouver la bonne distance pour leur insuffler une singularité qui ne soit pas une copie de moi-même. Cela m’est en revanche beaucoup plus naturel pour les personnages féminins avec lesquels je me sens bien plus libre du point de vue de la création. Certains écrivent pour se trouver et vont donc injecter une large part d’eux-mêmes dans leurs personnages, moi j’écris pour m’évader, donc je cherche au contraire à faire la rencontre de personnalités totalement différentes de la mienne. Avec le recul, je dois avouer qu’on retrouve quand même quelques-uns de mes traits de caractère chez mes héroïnes. Mais comme ce sont des femmes, personne ne songe à me demander s’il y a un peu de moi chez elle et ça me convient très bien ainsi.
Les lieux de votre roman sont spectaculaires, notamment les montagnes des Appalaches, aux États-Unis, et les déserts d’Afrique du Sud. Comment choisissez-vous vos décors ?
Contrairement à nombre de collègues, je ne choisis que des lieux où je ne suis jamais allé. Il faut justement que j’aie envie de les explorer et surtout de prendre plaisir à les restituer par les mots. Ce que je parviens mieux à faire si je ne suis pas noyé par la documentation ou les souvenirs. C’est un vrai plaisir d’écrivain que de chercher la meilleure manière de provoquer chez le lecteur la sensation d’être quelque part où il ne s’est jamais rendu. D’autant que, cette fois, je transporte les lecteurs dans une atmosphère que je n’avais jamais explorée: la savane brûlante d’Afrique du Sud. Moi qui ai plutôt l’habitude d’ambiance nordique et neigeuse, j’ai beaucoup aimé confronter mes personnages à l’ardeur des températures et aux odeurs de fauve qui flottent entre les hautes herbes.
Deux ans se sont écoulés depuis la parution de L’Archipel des oubliés. Était-ce un besoin de prendre du temps, de mûrir ce nouveau projet, vous qui nous avez habitués à publier un thriller chaque année ?
Depuis 2016, j’ai sorti un livre par an, j’ai donc ressenti le besoin de me ressourcer pour trouver de nouvelles idées et de nouvelles inspirations. D’autant que mes romans sont toujours fondés sur des faits réels qui prennent du temps à être débusqués si l’on veut avoir la sensation d’apporter quelque chose de vraiment inédit au lecteur.
La documentation et la compréhension de phénomènes complexes, comme la génétique ou l’astrophysique, semblent être le préalable à la construction de vos histoires. Comment travaillez-vous et avez-vous toujours eu cette curiosité pour les théories et les expériences méconnues ?
J’aime effectivement les grandes questions qui n’ont pas encore trouvé de réponse. Que ce soit dans le domaine historique ou le domaine scientifique. Tout l’intérêt est de voir quelles réponses on peut apporter en tant qu’auteur. Avec toute la part d’imaginaire que nous autorise le roman. Je suis donc sans cesse en quête d’expériences méconnues, de théories audacieuses, de phénomènes réellement inexpliqués. Et, ensuite, je vois si j’ai quelque chose à dire sur le sujet. Quelque chose qui n’a pas déjà été dit, quelque chose qui fasse que le lecteur soit surpris, interpellé et encouragé à cogiter.