Nous sommes en mars 1313, sur une terre où chaque pas soulève un mystère, un fait divers sordide ou intriguant, une émotion particulière. Les passages secrets souterrains de la cité de Carcassonne, les grottes et les tunnels naturels du Haut-Razès que les cathares se sont accaparés pour échapper à l’Inquisition et aux troupes armées du roi de France, les commanderies templières autour de Dente…, il y a là une formidable matière, un extraordinaire terrain de jeu pour un auteur ! Ces lieux me fascinent et je n’ai pas pu m’empêcher d’y revenir.
Le livre démarre tel un polar terrifiant. Des moines assassinés, des mises en scène macabres, un loup blanc qui rôde… Pourquoi et comment la terreur s’installe-t-elle dans la contrée ?
En 1313, cela fait déjà six ans que les Templiers ont été arrêtés en masse par le roi de France Philippe le Bel. L’Ordre a été dissous sans que personne n’ait révélé où avait été dissimulée l’immense fortune du Temple. Alors quand l’Inquisition arrive pour mener son enquête, tous frissonnent d’angoisse. On connaît les méthodes du bourreau pour arracher les aveux. On raconte des choses effroyables sur les supplices infligés, les bûchers, l’odeur des chairs brûlées. Des cathares sont toujours présents dans la région, il y a donc des délations, des arrestations. Et qui sort de la norme est suspecté de commerce avec le diable. On ne le revoit jamais.
Geoffroy d’Ablis, votre inquisiteur, est un personnage qui a réellement existé. Qui était-il et pourquoi le redoutait-on autant ?
Il était une grande figure de l’Inquisition avec Bernard Gui qui, lui, siégeait au tribunal de Toulouse. C’était un être froid, dépourvu de toute humanité quand il se pensait en présence d’un hérétique ou d’un possédé. Il n’hésitait pas à laisser croupir les prisonniers au Mur, une geôle dans les souterrains de Carcassonne où l’on pouvait à peine tenir accroupi. On lui doit l’arrestation de nombreux cathares dans le pays, y compris le dernier, Bélibaste, qui fut brûlé vif en 1321, huit ans seulement après l’histoire que je raconte dans ce roman.
On retrouve Margaux, jeune châtelaine aux origines cathares que vos lecteurs et lectrices connaissent bien. Pourquoi a-t-elle toutes les raisons d’avoir peur ?
Le frère de Margaux était un Templier. Il fut l’un de ceux à qui Jacques de Molay avait donné la responsabilité de ramener de Chypre une partie du trésor. Avant de la dissimuler, il en a dérobé une partie que Margaux a conservée et utilisée. Avec l’arrivée des inquisiteurs, elle doit rester dans l’ombre. Or, d’étranges faits se produisent : quatre anciens Templiers sont arrêtés avec de l’or sur eux et une main coupée est retrouvée, tenant une épée plantée dans un cairn de pièces templières. Sans parler de ce loup blanc qui égorge les moutons ou encore de cette femme mystérieuse qui se fait passer pour elle et rallume les signaux au sommet des anciennes tours cathares. Si l’on y ajoute que Margaux est issue d’une lignée de cathares et qu’elle a donné naissance à des jumelles – la gémellité étant considérée comme diabolique par l’Église –, elle a toutes les raisons de craindre l’Inquisition. Un seul de ces actes suffirait à la conduire au bûcher…
Autre personnage important de votre roman: le conseiller du roi Guillaume de Nogaret. Ce personnage, qui, lui aussi est réel, a pour mission de retrouver l’or caché des Templiers. Vous le décrivez comme particulièrement rusé et cynique…
C’est ainsi qu’il est dépeint par les chroniqueurs de son époque. C’est un personnage ambigu, originaire du Languedoc, avec des origines cathares. Juriste, il a été le conseiller du roi de France Philippe IV le Bel puis son garde du Sceau. Il est à l’origine de l’expulsion des Juifs de Paris et de la confiscation de leurs biens qu’il a, en partie, récupérés pour son compte. C’est lui qui, après avoir œuvré aux côtés des Templiers, a rédigé leur acte d’accusation et d’arrestation. À partir de 1306, il est le véritable maître de la politique royale. C’est donc vers lui que se tourne le roi pour découvrir ce qu’il en est de l’enquête concernant l’or du Temple en Razès.
Vous participez régulièrement à Secrets d’histoire. Comment l’imagination se nourrit-elle chez vous de votre connaissance intime de cette période médiévale ? D’où vous vient cette manière d’écrire ?
Je suis une cartésienne qui vit depuis toujours avec des phénomènes inexpliqués. Des rêves récurrents qui de nuit en nuit se répètent, se complètent jusqu’à ce que j’obtienne des noms, des dates, des lieux autour des évènements que je vois se dérouler à la manière d’un film. À partir de là, je commence mes recherches auprès des historiens locaux, je fouille dans les archives locales ou nationales. J’ai le sentiment alors d’être une passeuse de mémoire, capable de capter quelque chose de perdu, la fréquence d’un évènement, d’un être, d’un sentiment. Cela reste très mystérieux pour moi. Le fait que je pousse très loin mes recherches au lieu de me contenter de ces images mentales me rend crédible auprès des historiens avec lesquels je collabore. C’est aussi ce qui me permet d’être légitime dans des émissions comme Secrets d’histoire qui se veulent grand public tout en respectant la rigueur historique.
Qu’est-ce qui, depuis toutes ces années, vous fascine tant dans cette époque de notre histoire ?
Il y a au Moyen Âge une part de merveilleux qui, pour nous, relève de la « magie » mais composait le quotidien des gens. Beaucoup de phénomènes météorologiques étaient étranges et inexpliqués pour eux. L’omniprésence de l’Église catholique et son pouvoir temporel étaient tels que l’on vivait sous chape, sans cesse convaincu d’hérésie et de diableries. Tout cela créait un climat particulier, propice à l’imaginaire, aux secrets, aux peurs, et tout à la fois ouvert sur le développement des cités, des métiers, y compris les métiers féminins. C’est une période très longue qui a connu une évolution constante et une régression aussi. Je pense qu’elle reste celle qui interroge le plus, qui fascine le plus. Nous n’avons pas fini de l’explorer.
Votre écriture possède un souffle et une flamboyance que vos lecteurs plébiscitent. Quels sont vos auteurs de référence, vos inspirations ?
Mon auteur fétiche reste Alexandre Dumas. Tout y est, la force des intrigues, le sens des personnages, la vérité historique, l’élan romanesque… Mais je lis de tout. J’aime autant Platon — comme Margaux de Dente, d’ailleurs – qu’Edmond Rostand et son Cyrano qui est toujours mon livre de chevet. J’ai une tendresse particulière pour Saint-Exupéry dont la maxime « on ne voit bien qu’avec le cœur » m’a sauvé enfant. Et j’en lis et relis tant d’autres: Barjavel, Matheson, Silverberg, Simak, Asimov, Doyle, Connelly, King, Berling… Mes lectures sont comme mes romans, à la croisée des genres, glissant de l’un à l’autre pour mieux capturer la vérité d’un moment. C’est ce qui, depuis Le Lit d’Aliénor, me permet d’avoir des lecteurs de tous âges.
Vous accumulez les succès depuis plus de vingt ans et votre enthousiasme est intact. Quel est donc votre secret ?
Quels vœux la romancière que vous êtes forme pour demain ? Je ne sais s’il y a un secret derrière tout cela. J’ai besoin d’écrire, c’est mon souffle, ma respiration, ma survie. Et tant que la vie continuera, malgré ses aléas, à m’émerveiller, à me surprendre, je crois que cet enthousiasme, cette soif de vie restera intacte. J’ai besoin de partager, de rencontrer les gens, de leur tendre la main. J’ai 60 ans cette année, je n’ai pas d’âge dans ma tête. C’est ça ma force de vie. Croire comme quand j’étais enfant que tant que j’écrirai je ne mourrai pas. Un vœu ? Que ça continue !