Anticonformiste, Svetlana entretient une relation amicale avec le SDF de son quartier, clochard à l’ancienne avec qui elle aime bavarder. Un soir, celui-ci se fait sauvagement assassiner à coups de barre de fer. Svetlana est convaincue d’avoir aperçu le meurtrier peu de temps avant le drame. Estimant que la police n’explore pas assez son témoignage, elle se lance à la recherche de l’assassin. C’est le début d’un engrenage, car d’autres meurtres semblables se produisent et l’enquête de Svetlana s’élargit peu à peu, prenant un tour inquiétant et une dimension insoupçonnée.
Le grand-père de Svetlana a fui le régime de Poutine avec sa fille et sa petite-fille alors que cette dernière était adolescente. En quoi ce parcours est-il important dans la quête de vérité de votre héroïne ?
Svetlana est marquée par l’histoire de sa famille. Son père a été tué au cours d’une manifestation anti-Eltsine et la répression du régime de Poutine a forcé son grand-père, dont la vie était menacée, à s’exiler. Svetlana connaît l’arbitraire de la société et les mensonges d’État au sein desquels elle a grandi. Depuis, obsédée par l’image de son père mort et la défaite de son grandpère, la moindre tentative d’étouffer la vérité ou de ne pas la rechercher activement la révulse. C’est pour elle un combat permanent et existentiel de démasquer les dissimulations, les contrevérités et les désinformations d’où qu’elles viennent.
Exit le commissaire Grimm, héros de plusieurs de vos romans: voilà cette fois Becquedot, un policier peu banal qui forme un duo avec Svetlana. Pouvez-vous nous le présenter ?
Becquedot est un flic désabusé dont on ignore le passé. Plus âgé que Svetlana, il est attiré par les êtres humains qui font saillie dans un groupe, par tous ceux qui ne sont pas dans le moule, qui se remarquent aussitôt parce qu’ils portent en eux une singularité et dont le comportement inattendu surprend. Pour cette raison, Svetlana l’attire. Et l’agace aussi, par son côté indomptable et imprévisible qui gêne son enquête. Leur duo ne peut s’harmoniser, malgré l’affection discrète de Becquedot pour Svetlana, qui évoque parfois celle d’un père supportant avec plus ou moins de patience sa fille insubordonnée et insolente.
L’enquête va mener ce duo dans la clinique d’un certain Dr Schwartz où des cobayes humains sont soumis à de terribles opérations de déstructuration mentale. À quoi correspond la chambre des ombres, titre de votre roman ?
La chambre des ombres est la chambre d’Orfield. Inventée par l’ingénieur Stephen Orfield, c’est un lieu anéchoïque, ou chambre sourde. Quand vous êtes dedans, vous ne captez plus aucun bruit extérieur. Rien. Au point que vous percevez seulement les battements de votre cœur, l’air qui pénètre dans vos poumons, le craquement de vos articulations. Des sons d’ordinaire inaudibles, masqués par les bruits ambiants de notre environnement. Dans une chambre anéchoïque, dans l’obscurité, on perd l’équilibre par une désorientation totale de ses sens. Comme on n’entend que le bruit de son propre corps, on devient le son. Seul l’organisme de la personne émet des bruits, qui sont de ce fait décuplés. C’est difficilement supportable au-delà d’un quart d’heure. C’est une expérience unique qui peut rendre fou.
Vous semblez faire directement référence au scandale, dans les années 1950-1970, des expériences secrètes financées par la CIA… Quelle était cette affaire ?
Une sombre affaire, menée en secret dans des hôpitaux et des casernes. La CIA a soumis des cobayes humains à des techniques de manipulation psychique qui s’apparentent à de véritables tortures mentales et physiques. Le but était d’effacer la mémoire de l’individu et de reconstruire, comme sur une page blanche, un psychisme neuf malléable. Il y eut des morts et ceux qui ont survécu ont conservé de très graves séquelles jusqu’à la fin de leur vie. L’affaire a fuité dans la presse américaine et a débouché sur le plus grand scandale que la CIA ait connu depuis sa création, entraînant la démission de son directeur.
Les thèmes de la psychiatrie, de la démence, de la manipulation mentale vous intéressent-ils depuis longtemps ?
Derrière le romancier percent sans doute l’auteur et ses obsessions. La plasticité de l’esprit humain est à l’origine de déformations psychiques qui confinent parfois à la folie. Si la vraie folie présente à mes yeux peu d’intérêt, les états limites sont à l’inverse fascinants et certaines déviations mentales sont tout à fait extraordinaires quand elles sont couplées à une intelligence remarquable. Ce sont les fous intelligents qui me fascinent, ceux qui savent donner le change. Mais plutôt que me heurter à ces psychoses dans la réalité, je préfère les éprouver dans des romans (c’est moins dangereux…) ou, mieux encore, créer moi-même des personnages qui en sont atteints. Qui peut prétendre n’avoir jamais cédé, ne serait-ce que quelques instants, à une forme de démence au cours de sa vie? Qui peut prétendre n’avoir jamais manipulé personne au cours de son existence ? La pathologie mentale déborde largement l’enclos des instituts spécialisés. Elle est partout.
Après ce thriller particulièrement terrifiant, savezvous déjà quelle histoire fera trembler vos lecteurs dans votre prochain livre ?
La prochaine fois, je ne ferai pas trembler les lecteurs. J’ai l’intention de les détendre et de les amuser. Pourtant, qu’ils se rassurent, il y aura des morts…