Disons des retrouvailles… Je n’ai pas fait évader Julian Hirtmann pour rien dans le précédent opus. Cela dit, H est très loin d’être le seul personnage important de ce livre, voire le plus important, et il s’y passe bien des choses à côté de sa traque.
Absolument. Mais, bien entendu, pas besoin d’avoir lu la précédente enquête de Martin Servaz pour lire celle-ci.
Avec ce thriller, vous décrivez l’incroyable engouement du public pour le true crime, c’est-à-dire pour des documentaires, des livres, des podcasts parlant de crimes réels, souvent épouvantables, de criminels ayant réellement existé ou existants.
Oui, c’est assez sidérant tous ces gens qui se prennent de passion pour le true crime de nos jours. On en trouve partout désormais: sur les plateformes de streaming, sur les chaînes de la TNT, en podcast, sur Youtube, dans des magazines… Savez-vous que 75 % des auditeurs de podcasts de true crime sont des auditrices? Je me suis demandé ce que ça disait de nous, cette fascination pour les crimes réels, fascination qui transcende les générations comme les classes sociales.
Et, dans votre roman, les fans de true crime se lancent sur la piste d’Hirtmann en même temps que les services de police. Ils forment des communautés de détectives amateurs, d’enquêteurs du dimanche, qui échangent sur des forums, s’entraident pour résoudre des cold cases, des meurtres, des disparitions en plongeant dans les profondeurs du Web.
Oui, ça s’appelle du web sleuthing, ça vient de sleuth, «détective» en anglais. Une des premières fois que j’ai découvert ces communautés, c’était dans un doc sur Netflix, Don’t F**k With Cats, qui montrait comment, à partir de vidéos en ligne, des internautes étaient parvenus à identifier et à retrouver Luka Rocco Magnotta, «le Dépeceur de Montréal». Imaginez des centaines de personnes collaborant pour retrouver le coupable d’un crime et ayant à leur disposition le plus gigantesque gisement d’informations de toute l’histoire de l’humanité, une mine de renseignements sur tout et tout le monde: Internet…
Autre peinture marquante dans votre livre: celle que vous faites d’une star de la télé à l’ego impressionnant…
L’idée m’en est venue à la lecture d’une œuvre-phare d’un sociologue américain, Se distraire à en mourir (dont l’édition française était curieusement préfacée par Michel Rocard), montrant les effets de la télé sur notre façon d’appréhender le monde, de déchiffrer les phénomènes. Damien Dix, mon personnage, est le présentateur vedette et le producteur de Tout le monde regarde, le «talk-show le plus regardé de France», et il s’est mis en tête d’interviewer Julian Hirtmann. Et Servaz doit composer avec tous ces gens et cette folie qui s’empare du pays.
Il y a dans H un personnage très attachant: la journaliste de presse écrite Esther Kopelman. Vous reconnaissez-vous dans sa démarche, ses valeurs ?
Esther, on l’a déjà croisée dans La Chasse. Je savais à l’époque qu’elle reviendrait. C’était un personnage trop formidable pour ne pas lui donner plus de place. Quelque part, ses valeurs sont un peu les mêmes que celles de Servaz. Je lisais récemment les mémoires d’un juge d’instruction; il écrit ceci à propos de son métier: «Seule la recherche de la vérité doit le guider, encadrée simplement par le respect de la procédure». Eh bien, disons qu’Esther comme Martin poursuivent le même but, mais s’affranchissent parfois du cadre légal.
Au fond, n’est-ce pas le vrai sujet du livre: la difficulté de plus en plus grande que nous avons à reconnaître le vrai du faux ?
Exactement. Le regretté Michel Serres disait déjà que « notre rapport à la vérité s’est brouillé ». Comment faire pour s’y retrouver dans cette avalanche de fake news, de rumeurs, de théories paranoïaques, de mensonges, de manipulations, de contrevérités, d’accusations sans preuves, d’absurdités? Même les IA trichent et mentent désormais.
L’automne dernier, vous avez publié, avec succès, Les Chats, un recueil de nouvelles écrites dans des registres très différents. Est-ce à dire que vous aimeriez, de temps à autre, vous aventurer vers d’autres horizons littéraires ?
Les Chats m’a en effet donné l’opportunité de m’évader vers d’autres genres que le polar: fantastique, S-F, conte animalier, satire, voire pas de genre du tout… Il faut dire que j’ai écrit bien d’autres choses que du polar avant d’écrire Glacé et que je suis depuis toujours un lecteur « omnivore »: le polar occupe environ dix pour cent de l’espace de ma bibliothèque.
Votre rayonnement à l’international ne cesse d’augmenter. Comment vivez-vous cette notoriété?
Avec bonheur et incrédulité. Quand je vois l’enthousiasme des journalistes étrangers, du public, pour des histoires qui ont un cadre géographique limité : le Sud-Ouest, les Pyrénées sous la neige, la France… Le succès dans les pays scandinaves me fait particulièrement plaisir. Parce que certains de leurs auteurs rencontrent le même succès chez nous et que c’est une terre de polar et de connaisseurs. Mais j’éprouve la même joie quand je me rends en Espagne, dans un village du Nord-Aragon, et qu’il y a cent cinquante personnes dans la salle, ou à Poznań et Wrocław en Pologne, à Prague, à Francfort, à Athènes, à Bucarest, à Bratislava, à Barcelone, à Valence, à Côme (où j’ai pu dîner avec Dario Argento et Abel Ferrara), à Oslo, à Sofia, à Harrogate, etc.